Carlos Torres
Œuvres récentes :
Un dialogue-confrontation séparé par une déchirure, violente et douce à la fois. Deux univers dont
l’union nous invite à compléter, avec notre sensibilité, un troisième, le nôtre.
Certaines de format carré, précis et irrégulier en même temps. D’autres, de format allongé, nous
surprennent à chaque moment, au fur et à mesure que nous les parcourons en suivant sa lecture
horizontale.
La photographie fait partie de l’univers de Carlos Torres. Soit de façon autonome, soit de façon
directe, mais toujours associée au dessin, comme le montre certaines pièces exposées. À nouveau une
déchirure qui
sépare les deux formes d’expression, l’inattendu et la fascination sont toujours au rendez-vous.






Entretien avec Carlos Torres
Kate : Peux-tu te présenter ?
Carlos : Je m'appelle Carlos Torres, je suis né au Mexique. Cela fait 51 ans que je vis et travaille à Paris.
Kate : Qu’est-ce qui t’a amené à Paris ?
Carlos : C’est l’héritage de mon père, qui adorait cette ville. Il m’avait transmis le désir d’y aller.
Une fois sur place, j’ai rencontré par hasard un artiste d’art cinétique qui m’a proposé de devenir son
assistant. J’ai ainsi pu gagner ma vie pendant dix ans. Ensuite, j’ai décidé de devenir artiste
indépendant.
Kate : À partir de quel âge as-tu vraiment commencé à créer ?
Carlos : Depuis toujours. Ma famille raconte que j’ai toujours été attiré par la création. Donc, quand
j’ai annoncé que je voulais devenir peintre, personne n’a été surpris. J’ai étudié à l’École nationale
des beaux-arts de Mexico. En arrivant à Paris, j’ai eu la chance de voir une grande exposition de
Matisse. Ça a été un déclic. J’ai compris que même en m’appliquant, je ne serais qu’un "sous-Matisse",
il était trop tard pour cela. Alors, je me suis éloigné de l’art figuratif. Mon travail est non
figuratif, guidé par la lumière et l’imagination. J’invite le spectateur à regarder avec attention,
vivacité, alerte, pour capter les nuances, les fragments. Mon œuvre se complète avec le regard de
l’autre, elle est presque pourvoyeuse : on cache une partie, on en dévoile une autre. Je propose des
fragments que le spectateur recompose.
Kate : Si tu devais citer un artiste ?
Carlos : Vermeer. Pour l’incandescence de sa peinture. Il parvient à suspendre le temps. Et puis il y a,
dans son œuvre, un ordre que j’admire, une structure presque annonciatrice de la géométrie de Mondrian.
Kate : Quel rôle jouent tes origines dans ton art ?
Carlos : J’ai grandi sur un haut plateau au Mexique, baigné d’une lumière très pure, très transparente.
Dès l’enfance, j’ai été émerveillé par ce miracle : la lumière, le soleil, les ombres. Mon père, très
sensible, nous invitait souvent à regarder le ciel, à en observer les nuances, même quand on était à
table.
Kate : Combien de temps te faut-il pour réaliser une œuvre ?
Carlos : Impossible à dire. Je ne travaille jamais sur une seule œuvre à la fois. Je suis un "serial
painter", j’aime varier les supports et les techniques. Quand un projet bloque, je passe à un autre,
puis j’y reviens. Il m’arrive de brûler, de déchirer, d’associer des photos.
Kate : Y a-t-il une œuvre qui t’a marqué ?
Carlos : Les Ménines de Velázquez m’ont profondément impressionné.
Kate : Et parmi tes œuvres, y en a-t-il une que tu considères comme particulière ?
Carlos : Je vis avec certaines de mes œuvres et je refuse de m’en séparer. C’est comme si on demandait à
un père lequel de ses six enfants il préfère. C’est pareil pour moi.
Kate : Y a-t-il un message ou une émotion que tu cherches à transmettre ?
Carlos : Non, je veux que chacun trouve sa propre lecture. C’est pour cela que je ne donne pas de titre
à mes œuvres. Une fois, en montrant une pièce à un groupe, chacun y a vu quelque chose de différent : du
tragique, de l’érotisme, du mystique…
Kate : Écoutes-tu de la musique en travaillant ?
Carlos : Bizarrement, je n’aime pas le jazz. J’ai essayé, mais ce n’est pas mon truc. Je peux passer
d’une musique mexicaine ringarde pour ivrognes à la finesse de Schubert. J’aime beaucoup l’opéra, que
j’ai découvert en Europe. Mais depuis le Covid, j’ai goûté au silence, et il m’est devenu très cher. Il
ne me fait pas peur, il me convient parfaitement.
Kate : As-tu une citation que tu aimes ?
Carlos : Celle de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. »
Kate : Ton livre préféré ?
Carlos : Proust. Ce fut un choc colossal. Lire un passage en plein après-midi à la lumière donne une
impression totalement différente selon le contexte. C’est une œuvre, un univers complet. Et aujourd’hui,
en Amérique latine, il y a aussi de grands écrivains.
Kate : Quelle est, selon toi, la plus grande différence entre le Mexique et la France ?
Carlos : Il y en a beaucoup. Mais ce qui me bouleverse à chaque fois que je retourne au Mexique, c’est
le courage des gens. Ici, on grandit avec l’idée que l’État est là pour t’aider : chômage, aides
sociales… Là-bas, tu apprends à compter uniquement sur toi-même. C’est admirable et nourrissant.
Parfois, je vois les Parisiens faire la tête alors qu’ils ont tout : ils sont bien habillés, ils n’ont
ni froid ni faim… Je me demande quel est le problème ? Et pourtant, quelle chance d’habiter Paris ! Quel
bonheur. Je prends encore des photos de touristes. Cette ville continue de me bouleverser.
Kate : Comment vois-tu le futur ?
Carlos : Quand tu as 30 ans, tu as de l’énergie, des rêves. Moi, je n’avais pas de projet concret, et
tout ce qui m’est arrivé a été un cadeau. Je ne m’étais pas dit : "à 40 ans, je dois être à la Biennale
de Venise ou exposé au Louvre". Pas du tout. Quand j’ai eu la télévision, des expositions à New York ou
Berlin, les vernissages… j’ai vu ce que c’était, et je ne ressens pas le besoin d’y revenir. Je n’ai pas
de projet pour l’avenir, mais ce que je veux, c’est continuer à avoir l’envie de créer.